05/10/2013

"La fuite", par Olivier F.

L'avis de Pseudo-Mew : "Un bon texte est un texte qui ne nous laisse pas de marbre. On peut dire que tu as réussi ton coup !"



La nuit était encore froide. Les premiers signes de l’arrivée du printemps se voyaient aux petits tas de neige boueuse fondant dans les recoins de la rue. La lune, presque pleine, se reflétait dans une flaque dont la surface se rida lorsque la jeune femme mit le pied dedans. Elle fuyait depuis le crépuscule une vie qu’elle avait laissé trop longtemps vivre par une autre,  on entendait les chiens aboyer et les cavaliers la poursuivant. Ils avaient mis moins de temps qu’elle ne l’escomptait pour se rendre compte de sa disparition et elle souriait tristement en pensant à Arthème qui devait la poursuivre. Ses cheveux, foncés, tressés en une natte unique balançaient dans son dos au rythme de ses foulées, elle avait revêtu sa tunique, relique d’un passé de jeune aventurière insouciante, qui épousait encore parfaitement ses courbes à son grand plaisir.
Les soldats allaient bientôt la rattraper mais la frontière était proche, le village était un lieu d’échanges commerciaux entre le pays voisin et la capitale, que la jeune femme fuyait. Elle traversa la place centrale, zébrée d’ombres par les branches des platanes, le silence du village endormi bercé par les gargouillis d’une fontaine. Un instant le bruit de ses poursuivants se perdit à l’occasion d’un tournant. Elle bifurqua dans une petite ruelle sombre, le silence devenant oppressant. Les maisons d’abord mitoyennes s’espacèrent et elle atteignit la sortie du village. Derrière elle, les  fenêtres commençaient à s’éclairer au bruit provoqué par les soldats. Elle traversa rapidement un champ en jachère et pénétra dans un bois. Les buissons lui griffaient les joues et ses poumons étaient en feu,  sa veste s’accrochait aux ronces. Elle était à bout de forces mais elle entendait déjà le grondement de la frontière devant elle. Une pente régulière manqua de la faire trébucher tendit que le grondement montait en puissance. Soudain devant elle une berge escarpé se présenta et la fit s’arrêter. La rivière, gonflée par les eaux de fontes, rugissait en un torrent furieux. Sur la gauche elle vit à quelques dizaines de mètres le pont se découper à la lumière de la lune. Les soldats y étaient déjà postés, rejoins par des hommes du village. De l’autre côté du pont les soldats du pays frontalier les hélèrent :

-Ôla, qu’est-ce qui ce passe chez vous ?

Les villageois se regardèrent et un des soldats s’avança. En s’approchant silencieusement de ce seul point qui lui permettrai de se sauver la jeune femme y reconnu un uniforme de lieutenant.

-Rien qui ne vous regarde, retournez dans la fange de vos champs, bouseux !

La tension se fit sentir  entre les soldats des deux pays et les villageois s’écartèrent un peu, honteux et gênés car leurs relations étaient amicales avec les frontaliers.
Un soldat arriva du village à cheval, la jeune femme le reconnu de suite. Arthème se distinguait nettement des autres soldats, même du lieutenant qui avait posé sa main sur la poignée de son épée et regardait haineusement les soldats en face. A travers les traits durs de l’homme la jeune femme y discerna une pointe de peine ou d’inquiétude et son cœur se serra. Le commandant de l’armée du pays de Tungsten regarda son lieutenant qui se ratatina malgré son regard qui bravé son supérieur.

-Va aider à organiser les recherches au village, je m’occupe d’ici.

Le lieutenant esquissa un rapide signe de respect et monta son cheval avant de le talonner.
Les soldats en face avaient été quérir des renforts, juste au cas où. Arthème s’adressa à eux :

-Veuillez excuser la rustreté de mon lieutenant, certaines personnes dans ce pays manquent cruellement de bienséance. Nous sommes à la recherche d’une femme qui s’est égarée dans la campagne alentours et elle compte beaucoup pour le seigneur Garabet. Nous savons qu’elle n’a pas traversé le pont mais l’auriez-vous aperçu par hasard ?

Les soldats frontaliers s’interrogèrent du regard rapidement et échangèrent quelques marmonnements avant de répondre :

-Navré, il n’est passé personne par ici de la journée, de moins en moins  de personnes s’approchent de votre pays depuis l’accident du seigneur Moderan et de sa dame Isabeth.
-Oui, ce fut un accident fâcheux qui nous peina tous.

Du côté de Tungsten les villageois et la plupart des soldats se dandinèrent, visiblement mal à l’aise et baissèrent les yeux.
Arthème reprit la parole :

-Bien, nous allons continuer à la chercher, si vous voyez quelque chose n’hésitez pas à nous prévenir.

Arthème plaça quatre hommes à l’entrée du pont. Il renvoya la plupart des soldats au village pour qu’ils aident à la fouille. Une escouade de soldats et de villageois fut envoyée vers le sud en aval de la rivière et lui-même et les soldats restant se dirigèrent vers là où la femme se cachait. Ils se dispatchèrent dans le bois.
La jeune femme longeait la rive à la recherche d’un endroit où traverser mais le courant semblait uniforme dans le chaos de son bouillonnement. Elle observait en contrebas lorsqu’elle entendit une branche craquer. Il était trop tard, elle n’avait pas entendu le soldat avec le tumulte de la rivière, il eut une seconde de surprise en la voyant et elle tenta sa chance, elle se jeta vers lui mais il fut plus rapide, il dégaina son épée et la pointa sur la gorge de la jeune femme, une larme de sang perla.

-Je te tiens, pas de pot pour toi. On est seul, pas de témoins. Je vais me débarrassé de la précieuse colombe en cage de ce bâtard de seigneur. On a espéré que tu arriverais à fuir mais on m’a envoyé au cas où.
-Vous faites partie de la résistance ?
-Nous ferons tomber ce tyran qui affame son peuple et se lie à la vermine contre nature.

Le jeune résistant leva son épée, la jeune femme pour éviter le coup fit un pas en arrière et tomba de la berge. Elle ne put que voir un instant l’épée ruisselante dépassant de la poitrine du résistant et le visage d’Arthème d’où roulait une larme. Elle esquissa un sourire et fut engloutit par les flots.